September 27, 2023

Quand la machine s'offre une place dans l'art

Cet article est associé à un entretien avec Julien CAPITAINE, Data Scientist chez DATACRAFT


Le 29 août 2022, Jason Allen remporte le premier prix du Colorado State Fair, un concours d’art, en y présentant un tableau réalisé grâce à l’intelligence artificielle (IA) Midjourney. Cette récompense a suscité la polémique sur les réseaux sociaux. Ce tableau peut-il être vraiment considéré comme de l’art ? Qui est l’artiste véritable : l'homme ou la machine ? Pour répondre à ces interrogations, il faut d’abord bien comprendre comment fonctionnent ces programmes.


Tout commence avec le deep learning (apprentissage profond). C’est une technique d’apprentissage automatique réalisée par un ordinateur dans le but final de pouvoir reconnaître différents éléments (à partir d’une image, d’un son) comme le ferait un être humain.  En effet,  face à une nouvelle donnée, l’IA doit pouvoir la comparer aux données déjà rencontrées pour donner la réponse la plus appropriée à la situation. Cette technique est fondée sur des algorithmes, c'est-à-dire des suites d’instructions mathématiques.


On pense souvent que des humains entrent des données et les réponses qui y sont attendues dans la mémoire des IA, pour que celles-ci aient une base sur laquelle s’appuyer afin de donner des réponses à de nouvelles données. Bien que ce soit une technique courante — l’apprentissage supervisé —, elle ne peut plus être utilisée lorsque beaucoup d’informations doivent être traitées, c'est-à-dire du Big Data. Le nombre de couples données-réponses à rentrer pour le fonctionnement de l’IA peut devenir bien trop important. Ainsi, pour résoudre des problèmes plus complexes, il est nécessaire de s’appuyer sur l’apprentissage non supervisé. Cette méthode se fonde sur des données qui ne sont pas triées et c’est à l’IA de s’en charger, alors qu’elle ne connaît ni les catégories possibles, ni leur nombre, ni leurs caractéristiques. Si plusieurs “objets” se ressemblent, ils sont regroupés dans une catégorie, et ainsi de suite… Cette méthode permet de résoudre des problèmes complexes et de plus grande envergure, mais peut également être assez imprévisible : l’IA peut générer des catégories qui ne répondent à rien, qui n’existent pas ou se tromper dans son interprétation… Pour résoudre ces problèmes, l’une des techniques les plus utilisées est le ‘Clustering’ (ou Regroupement). Elle consiste en la séparation des données en groupes en fonction de la présence de traits similaires (luminosité des pixels, contrastes, couleurs, formes…), de sorte à ce que les regroupements soient les plus homogènes possible.


Maintenant que l’on comprend mieux sur quoi repose une IA et comment elle fonctionne, il s’agit désormais de comprendre comment une IA peut peindre, créer une image… En fait, elle procède toujours de la même manière : grâce au deep learning. Une application concrète est la création d’un nouveau tableau dans le style d’un maître. Pour ce faire, elle va analyser une base de données regroupant tous les travaux de l’artiste et “découper” son style. L’ordinateur va caractériser la façon qu’a l’artiste de dessiner, peindre chaque élément anatomique, chaque objet, la tendance des couleurs, des contrastes, reconnaître des techniques comme le clair-obscur et “classer” ces éléments. Ensuite, si l’on demande à l’ordinateur de peindre un élément particulier ou une scène, dans un style précis, il va réunir la requête de l’opérateur et ce qu’il a “appris” pour produire un visuel cohérent (selon l’ordinateur) avec ce qui a été demandé. C’est notamment le cas de The Next Rembrandt développé par l’agence J. Walter Thompson Amsterdam et  généré à partir d’une IA. Cette peinture possède un tel niveau de détails fidèles à l’artiste qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’un original. Associée à l’impression 3D, les textures de la peinture ont également été recréées. En général, une IA capable de répondre à toutes les demandes possibles utilise Internet comme base de données, ce qui lui offre un champ des possibles illimités.

L’intelligence artificielle semble alors se fondre dans le monde artistique. On peut comparer cette avancée technologique à l'apparition de la photographie. Une nouvelle discipline fut créée et l’art tel que la peinture, ne se fixa plus comme objectif de reproduire le réel, mais de laisser place à l’imagination. Ainsi l’intelligence artificielle peut enrichir l’art et même devenir une discipline à part entière. Le prompt art, c'est-à-dire l’art de créer en donnant des consignes à une intelligence artificielle, tend à gagner en reconnaissance car cette technique nécessite de la réflexion et de la patience. Il faut tout de même avoir une idée directrice pour l'œuvre que l’on souhaite créer, mais aussi réaliser une sélection parmi des centaines d’images produites par le logiciel et perfectionner les instructions données. 


Si le prompt art étonne et amuse, il soulève également de réelles interrogations. Un des problèmes est notamment la question des droits d’auteur. En raison de l’immensité des bases de données fournies à ces algorithmes, certaines images ne sont pas libres de droit, ce qui provoque la colère de nombreux artistes qui voient leur style reproduit par une IA, sans aucune autorisation. L’utilisation intensive des intelligences artificielles dans la vie de tous les jours, pose également des problèmes environnementaux, car leur utilisation demande énormément de calculs (plus de 3 milliards de paramètres pour Dall-E 2) et donc d’énergie. Une énergie qui, aujourd’hui, est très loin d’être saine pour notre planète..



Article écrit par : Louise Gally, Pola Szopka et Paul Spirckel


Sources


https://kulturegeek.fr/news-265361/tableau-cree-ia-remporte-concours-dart-etats-unis/amp

https://www.youtube.com/watch?v=QKa6UA0Jxi8&ab_channel=ArtComptantPourRien

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seaux_antagonistes_g%C3%A9n%C3%A9ratifs

https://fr.wikipedia.org/wiki/Apprentissage_non_supervis%C3%A9

DALL-E — Wikipédia (wikipedia.org)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Intelligence_artificielle

The Next Rembrandt

https://www.actuia.com/contribution/diana-landi/lia-est-capable-de-dessiner-de-peindre-de-copieraussi-dinventer-est-elle-un-artiste-comme-les-autres/

 

Par quels différents procédés la radioactivité s’applique-t-elle en médecine et biologie ?

Cet article est associé à un entretien avec Carole ROUSSE - Directrice des rayons ionisants à l'Autorité de Sûreté du Nucléaire

Il y a deux types de noyaux atomiques dans la nature : les noyaux stables et les noyaux instables. Les noyaux instables contiennent trop de neutrons, ce qui entraîne un déséquilibre de charges à l'intérieur de l'atome. Ces atomes instables, également appelés radioisotopes, se transforment en émettant des particules et de l'énergie pour devenir d'autres atomes. Ce phénomène est connu sous le nom de radioactivité.
 

La radioactivité est officiellement utilisée en médecine depuis 1936, même si la découverte des rayons X à des fins médicales date de 1895. En médecine, on appelle la radioactivité « imagerie fonctionnelle » car elle permet d’observer l’arrangement des organes et de détecter des inflammations des os, de la thyroïde, de l’estomac…

Il existe principalement 2 techniques d’imagerie utilisant ce procédé chimique : la scintigraphie et la TEP (Technique par Émission de Positons).


Lors d’un scintigraphie, on cible à l’aide d’un traceur radioactif - produit non-toxique, peu radioactif et choisi selon les affinités biochimiques  – le ou les organes que l’on souhaite observer. Ceux-ci vont alors fixer traceur, et émettre un rayonnement gamma. On peut alors suivre la position de la molécule-traceur grâce à une gamma-caméra ne captant que les photons ayant une longueur d’onde lambda comprise entre 10-14 et 10-12, et ainsi reconstituer l’image dans son intégralité.Cette méthode est utilisée pour observer le flux sanguin arrivant au cœur, détecter la perfusion d’un poumon, mettre en évidence les fractures ou fissures de l’os…mais aussi observer le débit rénal en évaluant la vitesse d’écoulement du fluide contenant le traceur. 


La TEP fonctionne quant à elle sur le même principe, mais en utilisant des rayonnements beta+ (éléments radioactifs utilisés : O15 , N13 , C11 , F18 ). Ici, c’est la distribution volumique du signal qui est étudiée. Le marqueur le plus utilisé est le fluor ; on l’entoure de glucose qui vient se fixer sur les organes qui en consomment beaucoup : tumeur, poumons, cœur…


La radioactivité peut aussi être appliquée à la médecine comme traitement des cancers et est basée sur l’utilisation de rayonnements ionisants . On appelle cela la radiothérapie. Le but est de détruire les cellules cancéreuses en évitant d'altérer les tissus sains et les autres organes. Afin de diriger les rayonnements de façon à ce qu’ils soient ciblés sur les cellules malades, un traitement spécifique est à mettre en place selon le stade et l’état général de chaque patient mais également selon le type de cancer dont il souffre. Aujourd’hui, 60% des cancers sont traités grâce à la radiothérapie en France. Deux techniques sont principalement utilisées : 

  • la radiothérapie externe, utilisant une source de rayonnement placée à l'extérieur du corps du patient . 

  • la curiethérapie qui utilise quant à elle une ou plusieurs sources de rayonnement placées de façon temporaire ou permanente à l’intérieur du patient dans ou près de la zone à traiter .


La radiothérapie métabolique, elle, est utilisée pour traiter uniquement certaines maladies telles que le cancer de la thyroïde ou la maladie de Vaquez. Plus rare, elle consiste à administrer au patient une substance radioactive par voie orale ou par intraveineuse qui va être capable de se fixer sur les cellules malades et les détruire. La radiothérapie en général peut avoir ainsi des effets secondaires néfastes sur le patient.  Les effets secondaires les plus fréquents sont :la fatigue; les troubles cutanés (démangeaisons, rougeur, sécheresse…);la perte d’appétit;les troubles gastriques (nausées, vomissements…);les troubles buccaux (sécheresse buccale, difficulté à avaler…);l’alopécie transitoire (perte de cheveux et/ou poils);la modification de la formule sanguine (diminution du nombre de cellules sanguines).Ces effets peuvent être précoces (surviennent pendant ou peu de temps temps après le traitement )ou tardifs (apparaissent plusieurs mois ou années après le traitement ).


De cette manière, le calcul et l’administration d’une dose de rayonnement ionisant sont indispensables.Ici interviennent les scientifiques. Ils mettent en place des modèles de calcul pour optimiser au maximum l’utilisation de ces rayonnements. Le but est d’améliorer l’efficacité de la radiothérapie tout en limitant l’irradiation. De ce fait, de nombreuses technologies ont été développées utilisant des faisceaux de plus en plus complexes, petits et dynamiques : radiothérapie conformationnelle avec modulation d’intensité, arthérapie dynamique, radiothérapie guidée par l’image, protonthérapie…


Afin de délivrer la bonne dose au patient, que ce soit pour un diagnostic nécessitant l’utilisation de rayons ionisants, ou bien pour un traitement, le personnel médical fait appel à un physicien médical dont la responsabilité est d’optimiser la quantité injectée. L’optimisation est un principe fondamental pour ceux qui manipulent la radioactivité. En effet, il faut que les doses injectées soient suffisantes pour la réussite de l’imagerie (pouvoir distinguer d’éléments à la radiographie, cibler parfaitement la zone de recherche…) mais soient assez faibles afin de ne pas être nocives à la santé du patient. Il faut évidemment rappeler qu’une exposition à des rayons radioactifs peut être cancérigène si elle n’est pas réalisée dans le respect des règles de sécurité, et qu’une très forte exposition, même minime, est mortelle puisque les rayons ionisants à haute dose détruisent les organismes vivants et donc les cellules.


Pour conclure, la radioactivité est aujourd'hui primordiale dans le milieu médical que ce soit à des fins d'imagerie ou de soin et ce grâce à diverses techniques exploitant les propriétés des rayons ionisants. Cependant, il y a tout de même des risques liés à l'utilisation de cette radioactivité, d'où la nécessité d'un physicien médical expert dans le dosage des radionucléides.


La recherche dans le milieu de l'imagerie nucléaire est elle toujours active, à l'image des chercheurs ayant récemment utilisé des technologies liées à l'astronomie pour créer un nouveau type d'imagerie : l'IPMU (Institute for the Physics and Mathematics of the Universe) imager.