July 22, 2025

L’imagerie du télescope spatial Euclid

 


La Tête de cheval vue par le télescope spatial Euclid.

 © ESA/Euclid/Nasa/J.-C. Cuillandre/ G. Anselmi


L’agence spatiale européenne (ESA) a lancé en juillet 2023 son nouveau télescope Euclid. Son objectif principal est l’étude de la matière noire et de l’énergie sombre, deux domaines brûlants de la recherche actuelle. Situé au point Lagrange 2, à 1,5 millions de km du Soleil, Euclid est positionné loin de l’atmosphère et dos au Soleil dans le but d’observer l’espace lointain avec le moins de parasites possible. Pour calibrer et tester les instruments, Euclid a pris des images de divers endroits du ciel pour promouvoir la science auprès du grand public. Une des plus célèbres images est celle de la Nébuleuse de la Tête de Cheval, dans la constellation d’Orion (cf. plus haut). En effet, ces images ont déjà marqué le monde par leur palette graphique caractéristique. Dans cet article, nous nous demanderons comment faire pour obtenir ces images.


Conçu par Thales Aerospace, le système optique d’Euclid se compose de deux instruments : le Visible Instrument (VIS), qui observe les longueurs d’ondes visibles (550-900 nm) et le Near Infrared Spectrometer and Photometer (NISP) qui observe l’infrarouge proche (950-2020 nm). Ces capteurs permettent de distinguer énormément de détails, le VIS possédant une résolution de 620 mégapixels et le NISP 64 mégapixels. Le travail d’imagerie consiste à combiner les données recueillies par ces instruments pour donner des images dans le domaine du visible (pour être projetées sur un écran par exemple). Ce que l’on observe n’est donc pas l’image en couleurs réelles, mais une reconstitution à partir de plusieurs sources de données. 


Le NISP approfondit l’étude spatiale en combinant les fonctions de spectrographe et de photomètre dans le proche infrarouge. Cela signifie que les signaux infrarouges sont décomposés en spectres, on peut alors voir quelles longueurs d’ondes contribuent à ce que l’on observe. Chaque élément étant associé à un spectre, cela permet d’identifier quels atomes ou quelles molécules se trouvent dans la zone du ciel visée. De plus, ces spectres nous apparaissent décalés : les longueurs d’ondes sont de plus en plus grandes à mesure que l’objet est lointain. On appelle cela le redshift, ou décalage vers le rouge cosmologique, dû à l’expansion de l’Univers qui agrandit les distances entre les galaxies et donc la fréquence des ondes observées. Le spectrographe permet à la fois d’identifier les signatures spectrales des éléments observés et de donner une bonne approximation de leur distance.


Euclid est doté de capteurs CCD (Charge-Coupled Device) pour le visible et des HgCdTe (Mercure-Cadmium-Tellure) pour l'infrarouge particulièrement grands : on obtient des images avec une résolution très élevée, c'est-à-dire avec beaucoup de pixels à analyser. Il faudrait quatre écrans HD pour rendre justice aux meilleures images d’Euclid ! Ici, on voit une image de la galaxie IC 342, observée à travers le plan de la Voie lactée. Une image dans le domaine du visible ne renverrait que notre disque galactique, alors qu’une détection dans l’infrarouge permet de révéler ce qui se cache derrière les nuages de gaz, car ces rayons peuvent passer plus facilement à travers les nuages de poussière en raison de leur plus grande longueur d’onde. 


Pour observer des objets encore plus lointains, on augmente le temps d’exposition de la caméra pour capter plus de rayonnement sur une seule image. Pour certaines images, ce temps peut durer jusqu’à 90 minutes ! Mais la lumière a alors le temps de se déplacer et les objets ponctuels peuvent donner une image allongée s'ils sont trop rapides. Il faut alors faire un travail de correction et d’uniformisation en combinant des images prises à différents endroits dans le ciel. De la même manière, on pourra en comparant différentes images corriger les distorsions éventuelles causées par les différences de sensibilité des capteurs. 

Afin de créer une palette de couleurs qui affiche dans le domaine du visible les données du télescope, on associe différentes longueurs d’ondes à chaque couleur du RVB. En effet pour afficher une image sur un écran, on combine ces 3 couleurs (Rouge, Vert, Bleu) sur chaque pixel pour donner une couleur qui en est l'addition selon certaines proportions. Un pixel blanc sera par exemple une somme de 100% de rouge, 100% de bleu et 100% de vert. Le noir sera au contraire une somme de 0% de chaque couleur.

“Galaxie IC 342” © ESA/Euclid/Euclid Consortium/NASA, image processing by J.-C. Cuillandre (CEA Paris-Saclay), G. Anselmi, CC BY-SA 3.0 IGO


  Sur les images d’Euclid, les équipes ont choisi d’assigner à la lumière visible le bleu, à une bande l'infrarouge proche le vert (1000-1200 nm) et enfin à une bande plus lointaine (1500-2000 nm) le rouge. Cela donne à Euclid cette palette graphique unique. Sur l'image de la nébuleuse à la Tête de Cheval, les zones bleues sont dans le domaine du visible alors que les zones rouges ne sont pas visibles puisqu’elles correspondent à des poussières qui n'émettent pas directement de lumière. Les zones violettes sur l'image (rouge+bleu) contiennent donc à la fois des poussières et du gaz ionisé. Si on connaît la distance entre nous et l'objet astronomique observé, sa couleur nous donne aussi une bonne idée de sa température, surtout en combinant ces données avec les images du télescope au sol associé à Euclid, le télescope Alma au Chili.



“Cartographie cosmique” ESA/Euclid/Euclid Consortium/NASA, CEA Paris-Saclay, image processing by J.-C. Cuillandre, E. Bertin, G. Anselmi

CC BY-SA 3.0 IGO or ESA Standard Licence


Pour conclure, le télescope spatial Euclid représente un véritable progrès dans le domaine de l'imagerie en astrophysique et en cosmologie, combinant des avancées technologiques passionnantes avec des objectifs scientifiques ambitieux. Il vise à découvrir les mystères de l'énergie sombre et de la matière noire, en essayant de répondre à des questions fondamentales sur la nature de l'univers, en particulier son expansion et sa structure. En déployant des outils de pointe pour cartographier des galaxies sur des milliards d’années-lumière, Euclid repousse les limites de nos perceptions grâce à ses outils novateurs nous permettant d’observer l’univers avec une précision et une profondeur sans précédent, sous des couleurs quelque peu insolites ! Ce projet international dirigé par l'ESA, avec d'importantes contributions d'agences et d'institutions de plusieurs pays, démontre l'importance de la collaboration scientifique mondiale.


Auteurs : Marie Alibert, Lila Schulz, Davit Yeremyan


Sources


Un article du CNRS sur les premières images d’Euclid : https://cnes.fr/actualites/euclid-devoile-premieres-images

Une conférence de M. Cuillandre à l’IAP, qui a travaillé sur les images d’Euclid : https://www.youtube.com/watch?v=WASlGgnBECk

Une vidéo de ScienceEtonnante sur le JWST, pour le phénomène de redshift : https://www.youtube.com/watch?v=dZw31yMDokk 

Un article du Temps: https://www.letemps.ch/en-images/premieres-images-d-euclid-le-telescope-de-l-obscure-clarte

Deux articles de l’ESA : https://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Premieres_images_d_Euclid_L_eblouissante_lisiere_de_l_obscuritehttps://www.esa.int/Space_in_Member_States/France/Zoom_sur_la_premiere_page_du_grand_atlas_cosmique_d_Euclid_de_l_ESA


Images : ESA