February 20, 2024

Euclid : voyage au cœur sombre de la matière noire


Cet article est associé à un entretien avec Hélène COURTOIS, astrophysicienne spécialisée en cosmographie, professeure et vice-présidente de l’Université Claude Bernard Lyon 1, membre de l’équipe scientifique du projet EUCLID. link

 

Le 1er Juillet 2023, à 17h12 depuis la base Cap Canaveral de Floride, a été lancé le télescope spatial Euclid, projet de l’ESA, l’Agence Spatiale Européenne, ayant pour objectif de photographier, durant 6 années, des galaxies lointaines depuis l’espace où la visibilité, en l’absence d’atmosphère, est bien meilleure que depuis le sol terrestre. Euclid est proposé comme deuxième mission de classe moyenne (M2) (cette qualification signifie que son budget est plafonné à 470 millions d’euros) du programme scientifique Cosmic Vision (2015-2025) de l'ESA. 


Véritable prouesse technologique Made in France, Euclid s’impose aujourd’hui dans la conquête spatiale face à la concurrence internationale. L’objectif premier étant d’enregistrer un grand nombre de galaxies, leurs distorsions et leur forme 3D, afin de mettre en évidence l’effet de la matière noire. Invisible, cette dernière est incapable d’émettre, d’absorber ou même de réfléchir la lumière, et ne peut être mise en évidence que par son attraction gravitationnelle, en particulier autour de galaxies. En effet, la lumière, suivant les déformations de l’espace-temps dû à la présence d’astres massifs, crée un effet de « lentille gravitationnelle » (lumière déviée, comme une sorte de halo lumineux) autour de ces mêmes objets, qu’Euclid photographiera.

 

L’idée est ainsi de cartographier les distorsions de l’Univers, mais également de mettre en évidence ses déformations par la matière qu’on ne peut pas voir (la matière noire, une matière hypothétique à laquelle s’appliquerait la gravitation, ne réfléchissant et n’émettant pas de lumière, qui interragirait avec la matière ordinaire de manière très faible) ainsi que l’énergie sombre (responsable de son expansion). Ces deux dernières représentent à elles seules plus de 95% de l’Univers, et nous sont pourtant invisibles.

 

Euclid aura été pensé, fabriqué, testé et enfin assemblé en France, avant d’être envoyé aux États-Unis pour le décollage, à l’été 2023. Ses derniers tests ont été réalisés à Canne, par Thales Alenia Space, entreprise de fabrication de satellites, où il aura (notamment) été plongé en intégralité dans une cuve à vide, afin d’établir sa résistance au vide et au froid. Le voyage du télescope, initialement assuré par la fusée russe Soyouz depuis la Guyane, a bien failli être retardé de plus de 2 ans, après la suspension de la collaboration entre Arianespace et l’agence spatiale russe, des suites de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Afin d’éviter un retard trop important et de réels risques financiers, l’Agence Spatiale s’est tournée vers l’opérateur privé américain SpaceX pour assurer le lancement. 

 

Le télescope Euclid orbitera, pour une période de 6 années, autour du second point de Lagrange (comme le James Webb Space Telescop (JWST), télescope d’observation de la NASA lancé en 2021 depuis le Centre Spatial Guyanais), zone stratégique de l’espace où l’attraction de la Terre et du Soleil crée un point d’équilibre permettant au télescope d’avoir une orbite de même vitesse angulaire que la Terre.


Dans une interview de Juin 2023 pour Le Blob, magazine vidéo portant sur les grands enjeux contemporains et sur l’actualité scientifique, Paolo Musi, chef de projet EUCLID chez Thales Alenia Space, soulignera la présence d’une réelle « compétition scientifique entre les satellites spatiaux (ayant accès à une meilleure visibilité) et les télescopes terriens (pouvant être de taille bien plus importante) ». 

 

 Vrai concentré de technologie, Euclid permettra de produire des cartographies bien plus précises que les précédentes, avec des clichés de millions de galaxies. La déformation gravitationnelle sera mesurée avec une précision 50 fois meilleure que ce qu'il est possible d'obtenir avec les télescopes terrestres. Il est prévu qu'Euclid détermine les décalages spectraux de 50 millions d'entre elles. Le décalage vers le rouge est un effet causé par l’expansion de l’Univers qui étire la longueur d’onde de la lumière émise par les galaxies distantes ; plus la galaxie se trouve loin, et plus le décalage vers le rouge est extrême. Les miroirs et le banc optique d’Euclid sont fabriqués en carbure de silicium, une céramique s’adaptant aux changements de température et permettant une conductivité thermique homogène sur toute la structure entre le miroir primaire et le miroir secondaire distants d’une précision de l’ordre du micromètre, afin d’éviter une possible déformation et une perte considérable de qualité optique.


À son foyer se trouve l’instrument VIS (VISible instrument), capteur et imageur grand champ visible (de bande spectrale 550 à 900 nm) composé de 36 capteurs de 16 mégapixels chacun sensibles à la lumière visible. De ce fait, il permet de détecter la forme des galaxies ainsi que leurs déformations, et renseignera sur la distribution de matière noire entre les galaxies photographiées et notre position.

Euclid est également équipé du NISP (spectro-photo-imageur), capable d’une photométrie dans l’infrarouge, pour compléter le VIS, ainsi que de spectroscopie, permettant une mesure du décalage vers le rouge des galaxies, informant sur la profondeur de ces dernières et donnant accès à leur position tridimensionnelle.


Ces deux équipements technologiques permettent de mesurer les distances entre les galaxies et de rechercher ce qu’on appelle une « échelle caractéristique » ou « règle standard » (caractère de distribution de la matière dans l’Univers), car les galaxies sont réparties de manière non homogène dans l’Univers mais sont regroupées en amas reliés entre eux. Les clichés récoltés seront donc un moyen de mettre en évidence l’expansion de l’Univers ainsi que de vérifier la validité de la Relativité Générale à l’échelle cosmologique. En effet, on parle ici de la mise en évidence de la gravitation, non pas comme une force mystérieuse, mais bien comme la courbure de l’espace-temps (représentation mathématique de l’espace et du temps qui s’influencent mutuellement) par la présence de masses dans l’Univers (comme par exemple les astres). Cette déformation sera d’autant plus visible avec des clichés de la formes des galaxies, d’où la nécessité d’en photographier un grand nombre. À titre de comparaison, en quelques semaines seulement, Euclid aura enregistré plus de galaxies que le télescope Hubble en 30 ans, de par sa surface de vue 300 fois supérieure !

 

En voyage pour 6 ans à travers l’espace, Euclid nous délivrera les secrets de l’Univers d’ici 2029, en arborant fièrement sur son côté les empreintes digitales, formant une galaxie de 250 ingénieurs.es et chercheurs.ses impliqués.ées dans le projet. 

 

Auteurs du blog : MABIRE Léna, HENRY Lola, BRÉMOND Lison


Sources :

 

Reportage Le Blob : https://www.youtube.com/watch?v=fyGeiq4gP8c

Vidéo ESA : Euclid in a nutshell - YouTube

James Webb Space Telescope :https://webb.nasa.gov

Relativité Générale : https://www.cea.fr/comprendre/Pages/physique-chimie/essentiel-sur-principe-relativite.aspx

Matière Noire : https://www.cea.fr/comprendre/Pages/matiere-univers/essentiel-sur-matiere-noire.aspx

Figure 1 : ESA - Euclid





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